La mobilité internationale 2024 doit composer avec une conjoncture morose. S'il existe bien entendu de fortes variations entre les États, on remarque aussi des marqueurs forts qui frappent les grands pays recruteurs. La crise du logement et du pouvoir d'achat donnent des sueurs froides aux gouvernements, qui prennent des mesures pour continuer de recruter des travailleurs étrangers tout en œuvrant pour une sortie de crise.
Avoir un logement avant de s'expatrier
Oui à l'embauche des travailleurs étrangers, mais s'ils ont déjà leur appartement. C'est, en substance, l'un des messages portés par plusieurs pays recruteurs de professionnels étrangers. Face à la crise de l'immobilier, ils veulent s'assurer que les nouvelles recrues auront déjà de quoi se loger. Cette pression pour avoir un logement pour pouvoir travailler à l'étranger ne pèse pas seulement sur les candidats à l'expatriation. Certains États exigent que les employeurs fournissent des logements convenables à leurs travailleurs ; ici, ce sont surtout les travailleurs étrangers temporaires qui sont visés.
Si les exigences demandées aux entreprises sont saluées, on se montre plus critique envers celles demandées aux travailleurs étrangers. Car l'idée sous-entend qu'ils seraient responsables de la crise du logement. Au Canada, en Australie ou aux Pays-Bas, des mesures sont prises pour réduire le nombre d'expatriés, accusés de faire grimper les prix du logement. Balakrishnan Rajagopal, rapporteur spécial sur le droit à un logement convenable, rappelle que ce sont avant tout les politiques menées dans ces pays qui sont à revoir. Imposer un logement avant l'expatriation de tous les travailleurs tend à faire disparaître leurs différences. Or, les revenus d'un étudiant étranger ne sont pas les mêmes que ceux d'un travailleur saisonnier ou d'un cadre supérieur.
Maîtriser la langue du pays d'accueil
Faut-il renforcer ou abaisser les exigences en matière de maîtrise de la langue ? Là encore, les solutions varient en fonction des États. L'Allemagne et sa réforme de l'immigration ont créé la surprise. Le texte favorise nettement l'immigration des professionnels qualifiés. Les exigences de langue sont abaissées : par exemple, l'étranger venant en Allemagne dans le cadre d'un partenariat de reconnaissance ne doit justifier que d'un niveau d'allemand élémentaire (niveau A2). Il doit pouvoir décrire simplement sa formation et comprendre des échanges simples. Le partenariat de reconnaissance lui permet de venir d'abord sur le territoire pour obtenir son titre de séjour d'employé qualifié, pour ensuite continuer sa procédure de reconnaissance. D'autres catégories de travailleurs sont ciblées par ces exigences abaissées en matière de langue.
Le choix allemand ne fait cependant pas l'unanimité. Des voix se lèvent pour rappeler que la maîtrise de la langue facilite l'intégration. Elles craignent que ces nouveaux talents étrangers soient plus vulnérables sur le marché du travail. La même inquiétude a gagné les experts japonais lors de l'introduction, par le gouvernement, du visa de travailleur qualifié (Specified Skilled Workers Visa 1 et 2), en avril 2019. Moins protecteur, le visa 1 n'imposait pas de maîtrise du japonais. L'Australie, la Suède, la France et la Corée du Sud ont plutôt choisi de renforcer (Australie, Suède, France) ou de maintenir (Corée du Sud) les exigences concernant la maîtrise de la langue.
Etre diplômé, qualifié, expérimenté
Le marché du travail international déroule le tapis rouge aux professionnels qualifiés et diplômés. La tendance se confirme en 2024, avec des réformes de l'immigration qui tendent toutes à faciliter le recrutement d'étrangers qualifiés et expérimentés. La réforme de l'immigration à Hong Kong entend justement faire revenir les talents étrangers. Le Top Talent Pass Scheme est l'un des programmes réservés aux étrangers diplômés de brillantes universités. Le Japon a adopté une vision similaire, avec ses visas J-Skip et J-Find, permettant aux étrangers diplômés et qualifiés de venir travailler au Japon.
Le Royaume-Uni, les États-Unis, le Canada, la Finlande, les Émirats arabes unis ou la Suède misent aussi sur les talents étrangers. Les employeurs se livrent une bataille de chaque instant pour attirer et surtout retenir les professionnels étrangers. L'Arabie saoudite est entrée dans la course : les enseignants et universitaires étrangers sont recrutés pour former l'élite de demain et participer à la création d'une nouvelle image du royaume, davantage « tournée » vers l'étranger.
Avoir son assurance santé ou payer une taxe spéciale
Si les États déroulent le tapis rouge aux talents étrangers, ils veulent s'assurer que ces derniers ne pèseront pas sur les systèmes d'assurance-maladie. La pandémie a fragilisé des institutions déjà exsangues. Au Royaume-Uni, l'hémorragie n'en finit pas. Le « plan choc » du gouvernement Sunak pour remettre à flot la NHS s'est accompagné de mesures drastiques pour renflouer les caisses. Depuis janvier, la surtaxe annuelle payée par les étrangers pour accéder aux soins (IHS (Immigration Health Charge) a subi une nouvelle hausse. Elle est passée à 1035 livres sterling pour les adultes, contre 624 livres sterling avant la réforme.
Nombre de nomades numériques doivent détenir une assurance santé pour demander leur visa. La plupart des pays délivrant le visa nomade numérique exigent en effet que l'expatrié puisse contribuer seul à ses dépenses de santé.
Avoir un certain niveau de revenus
Là encore, les différentes réformes des politiques d'immigration penchent vers une augmentation des seuils de revenus exigés. C'est une manière de filtrer les candidats se présentant devant les employeurs. La Suède a opté pour ce durcissement : les talents étrangers non européens devront être plus riches pour s'expatrier. Depuis le 1er novembre 2023, les étrangers hors espace Schengen ou hors UE doivent gagner 27 360 couronnes (environ 2400 euros) pour obtenir un visa de travail. Avant la réforme, ils ne devaient gagner « que » 13 000 couronnes (environ 1150 euros). C'est 80 % du salaire médian. En février, le gouvernement a proposé une nouvelle hausse, pour atteindre 34 200 couronnes mensuelles (environ 3000 euros), soit 100 % du salaire médian.
Le Royaume-Uni a opté pour un tour de vis similaire, avec une augmentation de près de 50 % du salaire minimum requis pour obtenir un visa de travail. Les employeurs accueillent diversement ces réformes. Certains alertent quant au risque de fuite des talents étrangers vers des États aux conditions plus souples. Car les employeurs n'ont pas toujours les moyens de satisfaire les exigences de l'État. Toujours au Royaume-Uni, les entreprises s'insurgent contre la nouvelle hausse du seuil salarial. Même les grandes sociétés tirent la sonnette d'alarme : le Royaume-Uni n'est pas Londres, et de nombreuses entreprises britanniques ne pourront pas payer les diplômés étrangers aux seuils exigés par le gouvernement Sunak. C'est d'ailleurs déjà le cas : de nombreux jeunes diplômés ont vu leur promesse d'embauche annulée, les entreprises ne pouvaient s'aligner sur les nouvelles règles du gouvernement. Un couac embarrassant, alors même que le pays cherche à garder ses talents étrangers.
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