En France, l'effectif des travailleurs frontaliers augmente de manière continue depuis 2006, soit une croissance de 26% sur les dix dernières années (statistiques de ). Une situation qui n'est pas facile à gérer et qui pèse lourd dans la balance budgétaire des pays chargés de fournir des prestations - notamment l'assurance chômage - à ce type de travailleur à cheval entre deux pays. Le point sur la question.
Comprendre le statut de travailleur frontalier
Qu'est-ce qu'un travailleur transfrontalier?
Il s'agit d'une personne qui exerce sa principale activité professionnelle dans un État autre que celui de sa résidence où elle retourne chaque jour, en principe, ou au moins une fois par semaine.
Le marché européen facilite ce genre de fonctionnement avec un système d'accords entre pays membres, notamment pour la gestion du droit du travail, de la fiscalité et de la sécurité sociale (règlement ).
Que vous soyez transfrontalier belge, néerlandais, allemand, polonais ou espagnol-portugais, la réglementation sera donc globalement la même au sein de l'Union européenne, avec quelques différences pour les pays de l'association européenne de libre-échange (AELE) comme la Suisse qui ne fait pas partie de l'UE.
Pour le cas de l'Irlande et du Royaume-Uni, il existe un accord () permettant aux citoyens des deux États d'exercer librement ce même statut de transfrontalier dans un des deux pays bien que le Royaume-Uni ne fasse plus partie de l'UE. Les citoyens irlandais peuvent ainsi continuer de vivre et de travailler en Irlande du Nord et dans le reste du Royaume-Uni et réciproquement, sans visa particulier.
Pour les autres régions du monde, les réglementations entre pays frontaliers sont généralement moins unifiées et doivent être examinées au cas par cas. Un résident canadien exerçant aux États-Unis, par exemple, risque d'affronter, en plus de certaines complexités légales, des obligations fiscales dans les deux pays.
Profils des travailleurs transfrontaliers vus de France
Logiquement, les situations transfrontalières les plus courantes se présentent entre des pays qui ont des différences économiques significatives, comme la Suisse et la France ou la Belgique et le Luxembourg. Les salaires dans le pays d'emploi constituent en effet un attrait majeur et dépassent généralement ceux du pays de résidence.
En France, par exemple, les frontaliers travaillent principalement en Suisse (48 %), au Luxembourg (22 %), et dans une moindre mesure en Allemagne (11 %) et en Belgique (10 %). L'Espagne et l'Italie où les salaires sont moins élevés ne représentent qu'une proportion négligeable : 1% et moins de 1% respectivement.
Comment sont gérées les prestations sociales des travailleurs frontaliers?
L'assurance maladie
Pour ce qui concerne l'Union européenne, le frontalier est soumis à la législation de son pays d'emploi. Il bénéficie des mêmes avantages fiscaux et sociaux que les nationaux du pays où il exerce (en vertu de l'article 7, § 2 du règlement européen cité précédemment).
Concrètement, cela signifie dans la plupart des cas que les travailleurs frontaliers paient leurs impôts et leurs cotisations de sécurité sociale dans le pays où ils exercent leur activité professionnelle.
Les textes officiels précisent qu'il est également possible d'accéder à certaines prestations dans son pays d'origine. Pour l'assurance maladie, par exemple, les accords européens permettent l'ouverture de droits dans le pays de résidence. Il convient pour cela de remplir un formulaire S1 à obtenir auprès de sa caisse d'assurance.
Les droits à la retraite
Si vous avez exercé dans un ou plusieurs pays de l'Union européenne, vous avez droit à une pension de retraite proportionnellement aux taux et trimestres en vigueur dans les pays où vous avez travaillé.
Dans le cas d'un travailleur français en Allemagne, par exemple : vous percevez une pension de chaque État (France, Allemagne et autres pays éventuellement), à condition d'avoir cotisé dans chacun des pays pendant au moins une année.
Peu avant la retraite, il faudra donc contacter la caisse d'assurance retraite du pays où vous résidez afin de faire le point sur votre situation et de déterminer vos droits dans chacun des pays.
Cas particulier de la Suisse pour l'assurance maladie
, vous avez un droit d'option : un transfrontalier exerçant dans la Confédération helvétique peut choisir entre l'assurance maladie de son pays d'origine et l'assurance suisse.
Attention : si vous n'annoncez pas votre décision auprès de l'organisme compétent sous un délai de 3 mois à partir du moment où vous travaillez en Suisse, vous serez obligatoirement affilié au système de santé de la Confédération. Sauf situation particulière, vous ne pourrez plus changer d'avis.
Et l'assurance chômage?
L'assurance chômage, quant à elle, fonctionne au sein de l'UE de cette manière : si un transfrontalier perd son emploi et qu'il a droit à une allocation chômage (voir les pour le cas de la France), il doit réaliser une demande d'allocation dans son pays de résidence et non dans le pays où il était employé.
Et c'est là où le bât blesse. Le coût de l'assurance chômage étant endossé par le pays de résidence du frontalier et non par celui de sa précédente activité professionnelle, le budget peut être particulièrement élevé dans certains cas de figure.
Prenons l'exemple d'un résident français ayant perdu son emploi en Suisse.
L'assurance chômage française calcule les allocations en fonction des revenus antérieurs qui sont souvent bien supérieurs en Suisse à ceux pratiqués, en moyenne, sur le territoire français.
Concrètement, selon la dernière enquête de ±ô'±«²Ôé»å¾±³¦, les allocataires frontaliers ayant travaillé dans la confédération sont indemnisés en moyenne 2 670 euros par mois (chiffres de 2023), contre 1 265 euros pour les allocataires indemnisés par le régime d'assurance chômage français.
Au total, cela représente un surcoût d'environ 800 millions d'euros par an pour le régime de l'assurance chômage en France.
Redéfinir une « offre raisonnable » d'emploi
En réponse à ces surcoûts associés aux demandes d'allocations chômage transfrontalières, les décideurs politiques français envisagent des moyens d'actualiser la politique d'allocation chômage, notamment en redéfinissant le concept d'« offre raisonnable » d'emploi.
En France, vous pouvez en effet perdre vos droits à l'assurance chômage si vous refusez à une « offre raisonnable » d'emploi. Il s'agit de toute proposition tenant compte de votre formation, de vos qualifications, de vos compétences professionnelles et de votre niveau de salaire précédent.
Actuellement, précise la ministre du travail « bon nombre de transfrontaliers qui reviennent en France inscrits à France Travail sont en droit de pouvoir refuser une offre française au motif qu'elle n'est pas raisonnable en comparaison des salaires offerts de l'autre côté de la frontière suisse ou luxembourgeoise ».
Est-il « raisonnable » de refuser un emploi sous motif qu'il ne correspond pas au niveau salarial précédent ? Non, selon la ministre. « C'est quelque chose qu'on veut revoir pour remettre cette offre raisonnable d'emploi dans le contexte du marché du travail français. » Autrement dit, refuser un niveau de salaire de référence français sous prétexte qu'il est inférieur à ce qui était touché précédemment de l'autre côté de la frontière n'est pas « raisonnable » dans ce contexte où les allocations sont assumées par le pays de résidence.
Une réflexion visant à mieux équilibrer l'aide au chômage et la pression budgétaire.
La ministre du Travail entend ainsi redéfinir les règles européennes sur le sujet et affirme avoir déjà contacté son homologue polonais, notamment concerné par les mêmes problématiques.