Il s'appelle Bruno Retailleau et entend « rétablir l'ordre » dans la société française. Plus que le nouveau Premier ministre (Michel Barnier), c'est bien Retailleau, le nouveau ministre de l'Intérieur, qui retient l'attention. On retient surtout son programme, résumé en quelques mots : durcir les règles de l'immigration. Les expatriés et futurs expatriés en France doivent-ils s'inquiéter ?
Immigration : la grande confusion
Samedi 21 septembre, le corps sans vie de Philippine, une jeune étudiante française, est retrouvé au Bois de Boulogne, zone boisée du 16e arrondissement parisien. La révélation de l'identité du suspect (le 24 septembre), un jeune ressortissant marocain condamné en 2021 pour viol et placé sous une obligation de quitter le territoire français (OQTF), fait basculer les débats sur un durcissement des règles migratoires. Le 26 septembre, le syndicat de la magistrature dénonce « une rhétorique xénophobe », des « détournements politiques » et une « hyperfocalisation des médias » sur l'immigration.
Le nouveau ministre de l'Intérieur lui-même a émis un lien entre immigration irrégulière et acte criminel. Un amalgame dangereux selon le Syndicat, qui recommande de ne pas analyser les faits sous le prisme de l'immigration (sans rapport avec lesdits faits). Mais la parole du Syndicat semble bien inaudible, face au raz-de-marée politico-médiatique. Bruno Retailleau ne pouvait pas mieux trouver pour annoncer un nouveau durcissement des règles de l'immigration. En France, la confusion règne depuis longtemps entre immigration légale et illégale. Rares sont ceux qui prennent encore le temps de différencier les deux notions. Retailleau s'empare de la colère populaire et promet d'allonger la durée de rétention des étrangers sous OQTF. Un allongement supplémentaire, mais qui ne résoudra pas la question des féminicides.Â
À trop « réagir » au lieu d'analyser les faits, la France construit des lois sur l'émotion et prend des contresens dangereux. C'est ce qu'a rappelé le député de la France insoumise (LFI) Antoine Léaument, le 28 septembre. Il dénonce le « lien systématique » que fait le Rassemblement national (RN, parti d'extrême droite) entre immigration et délinquance. Un lien que semble également faire le nouveau ministre de l'Intérieur.
Vers une interdiction de recruter les travailleurs étrangers ?Â
Le RN profite de l'émoi autour du meurtre de l'étudiante parisienne pour ressortir son programme. Parmi ses propositions (présentées le 14 septembre aux entreprises), l'interdiction de recruter un étranger (Européen ou non) si un ¹ó°ù²¹²Ôç²¹¾±²õ postule. Seuls les étrangers « aux compétences rares » seraient admis. Cette « préférence nationale », pour reprendre les termes du RN, repose sur une équation simple : le chômage augmente à cause des étrangers. En été, le RN avait déjà proposé d'interdire certains postes aux binationaux (voire même, de supprimer la binationalité).
Dans les faits, cette priorité aux ¹ó°ù²¹²Ôç²¹¾±²õ s'applique déjà dans une large mesure. Ce n'est qu'en dernier recours (quand l'offre n'a pas pris preneur) que les entreprises peuvent la déposer sur le marché international de l'emploi. Mais le RN veut pousser le gouvernement à aller plus loin. Il propose d'inclure la mention dans la nationalité pour les créations de postes dans le privé, comme cela se fait dans le public. Il avance également plus de restrictions pour les entreprises. « À compétences égales », elles seraient obligées d'embaucher un ¹ó°ù²¹²Ôç²¹¾±²õ, au risque d'être poursuivies pour discrimination. Pour faire passer ses mesures, le RN se dit prêt à modifier la Constitution et à croiser le fer avec l'UE.
La méthode Retailleau pour réduire l'immigrationÂ
Dès ses premières interviews, Retailleau axe son discours sur l'immigration. On rappelle qu'à l'époque des débats sur la réforme de l'immigration (votée en janvier 2024), il faisait partie des sénateurs de droite aux propositions les plus dures (suppression de l'aide médicale d'État, de l'aide au logement…). Retailleau entend revenir sur les mesures rejetées par le Conseil constitutionnel.
Le nouveau ministre veut tout d'abord s'attaquer à l'immigration illégale. Il envisage de durcir la « circulaire Valls » (ancien ministre de l'Intérieur, ancien Premier ministre) de 2012 qui permettait, sous certaines conditions, de faciliter la régularisation des travailleurs sans papiers. Retailleau veut aussi rétablir le délit de séjour irrégulier, supprimé par l'ancien Président Hollande, et restreindre le droit d'asile. Concernant l'immigration légale, le ministre opte aussi pour davantage de « fermeté ». Il envisage un contrôle plus strict de l'immigration étudiante et de nouvelles mesures pour « s'affranchir » de la houlette de l'UE. Il milite pour une révision des accords de Schengen.Â
Le ministre conservateur reste donc sur une ligne dure vis-à -vis de l'immigration. Le 22 septembre, l'Institut national de l'audiovisuel (INA) compile de 25 ans de déclarations de Retailleau sur l'immigration. Ainsi, en 2022, il affirmait : « L'immigration n'est pas une chance. » Désormais ministre de l'Intérieur, Retailleau n'exclut pas de réinstaller plus de contrôles aux frontières. Il applaudit « l'exemple allemand » qui vient justement de remettre temporairement ses frontières. Le Premier ministre Barnier soutient son ministre et promet « plus de rigueur » en matière d'immigration.Â
Les expatriés et futurs expatriés doivent-ils s'inquiéter ?
Bruno Retailleau martèle vouloir « prendre tous les moyens pour baisser l'immigration en France ». Son projet tient en une formule : « expulser plus, régulariser moins ». Il est donc ici question d'immigration illégale. Les immigrants légaux doivent-ils également s'inquiéter ?Â
Pour l'instant, les annonces du ministre de l'Intérieur restent des annonces. Mais le ministre veut agir vite et souhaite passer par la voie parlementaire pour entamer ses réformes. Il lui sera néanmoins difficile de les faire appliquer en l'état. La gauche s'engage à faire blocage. Le RN entend faire passer ses mesures et se félicite déjà de la venue de Retailleau. Le RN avait d'ailleurs validé la réforme migratoire de janvier 2024, même s'il estimait qu'elle n'allait pas assez loin. De quoi inquiéter les candidats à l'expatriation.