Les riches étrangers peuvent-ils espérer un retour en force du passeport doré en Europe ? Le récent coup de théâtre à Malte laisse la porte ouverte à toutes les options. D'autres pays européens pourraient être tentés par le programme controversé, malgré les critiques toujours vives de la Commission européenne. Décryptage.
Citoyenneté européenne par investissement : le signal de Malte aux riches étrangers
Depuis plusieurs années, la Commission européenne presse ses États membres de mettre fin à leur programme de Golden Visa. Il en existe deux types : ceux donnant un droit de résidence et ceux délivrant la citoyenneté (passeport doré), en échange, dans les deux cas, d'un investissement financier. Les deux systèmes sont dans le viseur de Bruxelles, qui muscle sa lutte contre le blanchiment d'argent et l'évasion fiscale. Mais il présente également sa lutte comme un combat nécessaire, pour garantir plus de justice sociale pour les Européens. Car obtenir la nationalité par investissement est perçu comme une manière de contourner les voies ordinaires de naturalisation, souvent plus longues et contraignantes.
Plusieurs États européens, dont Chypre et la Bulgarie, ont rétropédalé devant les pressions de Bruxelles. Mais Malte fait de la résistance. Son programme de citoyenneté par naturalisation pour services exceptionnels par investissement direct » (Malta Citizenship by Naturalization for Exceptional Services by Direct Investment – MEIN), propose deux situations. La première offre la nationalité maltaise à tout expatrié qui investit 600 000 euros dans l'économie maltaise. Dans ce premier cas, il obtiendra la nationalité sous 36 mois. La seconde situation délivre la nationalité à l'étranger qui investit 750 000 euros dans l'économie maltaise ; dans ce cas, la nationalité est obtenue en à peine 12 mois. Un délai bien plus court que dans la plupart des pays européens, où la nationalité s'acquiert après 5 ans ou plus.
Dans les deux cas, l'investissement peut aussi concerner l'immobilier. L'obtention de la citoyenneté maltaise délivre, en conséquence, la citoyenneté européenne, Malte étant membre de l'Union européenne (UE).
Citoyenneté par investissement : la victoire de Malte
Le programme maltais viole-t-il la réglementation européenne ? C'est ce qu'affirme la Commission européenne, qui rappelle les mesures de l'UE concernant la citoyenneté européenne et la coopération des États membres sur les questions d'intérêt commun. En octobre 2020, la Commission entame des poursuites contre Malte (et Chypre). Chypre consent à supprimer son programme de passeports dorés. Mais la réponse ne convainc pas la Commission, pas plus que le silence de Malte.
Le 29 septembre 2022, la Commission européenne attaque Malte devant la Cour européenne de justice (CJCE), pour atteinte au droit communautaire. Selon la Commission, la citoyenneté proposée par Malte « en échange d'investissements sans lien véritable avec l'État membre concerné enfreint le droit européen. » Le commissaire européen Didier Reynders précise que « les valeurs de l'Union européenne ne sont pas à vendre. » À l'époque, le procès contre Malte fait office d'exemple. Une condamnation exposerait Malte à de lourdes sanctions financières, mais appuierait également la lutte de la Commission européenne contre les passeports dorés.
Mais le 4 octobre, coup de théâtre : Michael Collins, l'avocat général de l'UE, estime que la définition de la citoyenneté européenne n'exige pas de liens réels avec le pays membre. L'argument opposé par les responsables européens n'aurait donc pas de poids juridique contraignant. Il rappelle surtout que la question de la nationalité relève exclusivement des États membres. Le principe est inscrit dans la Déclaration n° 2 annexée au Traité sur l'Union européenne. Les États membres n'ont pas à s'ingérer dans les critères de nationalités définis par un autre État de l'UE. Selon les conclusions de Michael Collins, un État membre de l'UE peut « vendre » sa citoyenneté à sa guise, à condition de respecter le principe de vigilance. L'avocat préconise à la CJCE d'abandonner son affaire contre Malte.
Réforme du Golden Visa à Malte : quel signal pour les autres pays d'Europe ?
Pour la Commission européenne, c'est un camouflet. Car si la CJCE déclare le programme maltais compatible avec les lois européennes, rien ne pourrait interdire aux États de (re)lancer des Golden Visa délivrant la citoyenneté par investissement. Il est en revanche peu probable que les États membres optent pour un droit d'ingérence de l'UE dans leur politique de citoyenneté, même au nom de la sécurisation des frontières. Une modification du traité Schengen retirant la libre circulation du Golden Visa est également improbable.
Les regards de la Commission européenne se portent sur les États membres proposant encore des Golden Visa. Pour l'instant, seuls 3 pays proposent la citoyenneté européenne par investissement : Malte, Chypre et la Bulgarie (la Bulgarie, entrée partiellement dans l'espace Schengen depuis le 31 mars 2024, avec la Roumanie). Secouée par plusieurs scandales, Chypre envisage, en 2020, de mettre fin à son programme de passeports dorés. Lancé en 2013, le passeport doré chypriote a bénéficié à environ 4 000 riches étrangers, pour une manne financière dépassant les 8 milliards d'euros. À l'époque, Chypre s'ouvre aux capitaux étrangers pour sortir de la crise financière. Mais Bruxelles constate plusieurs irrégularités et soupçons de corruption.
Passeport doré dans l'UE : l'heure de la revanche ?Â
Pressée par l'UE, la Bulgarie adopte, le 12 janvier 2022, un projet de loi pour supprimer les passeports dorés. Ce projet de loi s'inscrit dans le Plan bulgare de lutte contre la corruption. Mis en place en 2013, le programme de citoyenneté par investissement bulgare suscitait la controverse, tout comme les autres passeports dorés délivrés par Chypre et Malte. Le possible abandon de l'affaire par la CJCE pourrait inciter Chypre et la Bulgarie à reprendre leurs programmes. D'autres pays européens pourraient également proposer leur passeport doré.
La Hongrie n'a en effet pas attendu les conclusions de l'avocat général de l'UE pour relancer son programme de Golden Visa. Stoppé en 2017, ce programme est de nouveau en vigueur depuis le 1er juillet 2024. Selon l'option choisie, les riches étrangers peuvent obtenir la résidence permanente au bout de 3 ans. Après 5 années supplémentaires, ils peuvent demander la citoyenneté. Reste à attendre la décision de la CJCE et la réaction de la Commission européenne.