Strasbourgeoise ayant grandi dans le sud de la France, à Montpellier plus précisément, j'y ai étudié le droit avant de m'installer en Turquie et d'y devenir peintre miniaturiste, la miniature étant un des quatre arts traditionnels turcs, et auteur illustrateur de livre pour enfants. Je suis également professeur d'art en français dans une école enseignant le français à Istanbul.
Comment t'est venue l'idée de t'installer en Turquie?
C'est le fruit du hasard : étudiante, je cherchais des petits jobs d'étudiants pour l'été. Cette année-là , on m'a proposé un peu rapidement un poste d'hôtesse d'accueil dans un hôtel club dans la région d'Izmir pour la saison d'été 1986 et je l'ai accepté tout de suite en trouvant l'idée exotique.
Depuis combien de temps es-tu partie? Est-ce la première fois que tu vis loin de chez toi?
J'avais connu un premier grand changement toute enfant, à l'âge de 11 ans. Entre le nord-est de la France et son sud, il y avait déjà des différences, ne serait-ce que les conditions climatiques et la proximité de la mer qui jusque-là n'était que le plaisir vécu quelques semaines de vacances. Issue d'une famille de voyageurs (papa né en Algérie, arrière-grand-mère espagnole), les suds et le soleil m'attiraient : vivre ailleurs me semblait la suite logique de l'histoire de ma famille et j'en ai eu le désir aussi loin que je m'en souvienne.
Comment s'est passée l'installation?
Etant venue pour un travail saisonnier, lorsque j'ai décidé que cette installation serait définitive, j'ai d'abord tout de suite compris que les premiers temps risquaient d'être difficiles : j'ai ainsi préféré me mettre le plus rapidement possible dans un bain linguistique et culturel et n'ai fréquenté que des Turcs.
Puis est venu un mariage mixte, deux enfants et ma vie a tout simplement continué ici. Mais je garde toutefois le plaisir quotidien qui permet de découvrir l'autre et j'y ai ajouté celui de faire découvrir cette autre.
Les Stambouliotes sont-ils accueillants?
Les Stambouliotes mais plutôt tous les Turcs sont très accueillants : l'étranger est toujours bien reçu et si en plus il essaie de balbutier quelques mots en turc, le cœur et la porte des Turcs s'ouvrent instantanément. Serviables, il n'est pas rare que quelqu'un vous accompagne à un autre lieu que vous cherchiez, alors que vous demandiez juste votre chemin par exemple. Affectueux et démonstratifs, les Turcs n'hésitent absolument pas à vous adopter facilement et à vous le faire savoir.
Au début c'est surprenant, et cela peut être perçu par nous les occidentaux comme un peu intrusif, mais le voisinage est par exemple tout de suite là pour vous accueillir, vous inviter, vous apporter des mets et des desserts... et parfois se mêler un peu de votre vie !
Qu'est-ce qui t'a le plus surpris à Istanbul?
Le plus surprenant, c'est de voir que la ville est sans cesse en construction : dans tous les quartiers on voit des centaines d'immeubles en construction, tout le temps. C'est une ville qui bouge sans cesse, tous les quartiers sont différents et l'on passe d'un monde à l'autre en un rien de temps. D'ailleurs, j'ai habité durant 11 ans sur la rive asiatique d'Istanbul et travaillais sur la rive européenne. Changer de continents deux fois par jours a quelque chose de magique.
Quelles sont les différences les plus marquantes avec la France, ton pays d'origine?
Le temps de vivre. En France, on veut toujours tout planifier, ici on sait « qu'on ne sait jamais ». Il faut s'y habituer, apprendre la patience, s'en remettre au temps présent. Attention, Istanbul n'est pas une ville de tout repos, c'est une fourmilière, mais on apprend vite qu'il est préférable d'y vivre au jour le jour. Cela passe par le réparateur qui nous a dit qu'il passerait à 10 heures et qui n'est toujours pas là à 18 heures aux amis qui disent « on fait quelque chose dimanche » et qui ensuite se désistent. Au début c'est irritant, mais lorsqu'on saisit le sens du « inch allah » signifiant « si Dieu le veut » et bien on s'y fait, on n'attend plus le plombier, on espère juste qu'il passera à un moment où l'on sera là sinon le lendemain. La phrase la plus entendue en Turquie est certainement « problem yok » signifiant « il n'y a pas de problè³¾±ðs ».
Quel est ton meilleur souvenir?
Le meilleur… difficile à dire, une suite de choses extraordinaires se passent lorsque l'on vit en perpétuelle découverte de l'autre. Mais le plus impressionnant fut une exposition de peinture que j'ai faite au sein même de la basilique Sainte Sophie en mai 1999 pour la « semaine du Musée ». Exposer en ce lieu historique et y voir passer tant de gens, de toutes nationalités, de tous horizons, langues et religions et surtout discuter avec un grand nombre d'entre eux, reste un moment inoubliable.
Est-ce qu'il y a des choses qui te manquent depuis que tu es installée à Istanbul?
Le camembert est « ma madeleine de Proust »... Les saveurs de l'enfance restent indélébiles. L'identité culturelle passe par l'estomac, j'en suis sûre !
La vie d'une expat à Istanbul, ça ressemble à quoi?
Qu'est-ce qui t'a donné envie d'écrire ce blog?
L'envie de partager. Résidant ici depuis bientôt 28 ans, tous les gens que je rencontre, les nouveaux arrivant me posent toujours tout un tas de questions allant de questions culinaires à des questions linguistiques en passant par toutes sortes de « savoirs » selon leurs intérêts. Un jour, j'ai décidé de le faire par le biais d'un blog. Mais je ne pensais pas qu'il durerait tant! On entre Couleurs d'Istanbul et moi dans notre 5è³¾±ð ²¹²Ô²Ôé±ð.
As-tu déjà rencontré du monde grâce à ton blog?
Beaucoup de gens : des touristes de passage, des personnes désireuses de venir s'installer.
Je ne refuse jamais une rencontre lorsqu'on me la demande. Des amitiés sont nées, certains des gens rencontrés durant leurs vacances sont aujourd'hui installés. Certains sont repartis mais on garde toujours contact. C'est une des raisons pour laquelle je continue ce blog coûte que coûte, même les jours de fatigue. J'ai à un moment mis mon blog en pause une semaine et l'ai annoncé : blog en pause pour une durée indéterminée... mais j'ai reçu tant de messages, d'inquiétude que je me suis rendue compte à ce moment-là que mes lecteurs tenaient à Couleurs d'Istanbul et sans doute à moi. Ça m'a beaucoup touchée. Des gens que je ne connaissais pas m'ont même envoyé des cadeaux, broderies, cartes, napperons pour les fois où je mettais des articles sur ces artisanats turcs. J'ai environ 800 visites quotidiennes.
Après toutes ces années passées en Turquie, te sens-tu toujours expatriée et pourquoi?
Oui. Je ne crois pas à l'intégration totale. Je suis pourtant turcophone, j'aime le pays, j'aime ses habitants... Mais je dois souffler de temps en temps et rentrer chez moi, parler sa langue maternelle est un plaisir vous savez! On ne peut pas oublier sa terre de naissance tout comme on ne peut pas oublier son enfance, ça nous manque toujours. Ce n'est pas parce qu'on aime un pays qu'on oublie le sien.
Quel(s) conseil(s) donnerais-tu à celles et ceux qui souhaitent aller vivre à Istanbul ?
Conseil numéro un : apprendre la langue, ou tout au moins s'y familiariser, même si l'on sait que l'on ne va rester qu'un an ou deux, vivre dans une bulle resterait factice. Pour cela, je conseille de visionner des séries télévisées turques : les dialogues ne sont pas compliqués, elles apportent tout un tas de détails sur la vie quotidienne et la structure sociétale du pays. C'est une manière ludique d'appréhender une langue.
Et le deuxiè³¾±ð conseil : ne pas oublier qu'on est toujours plus riche en ayant rencontré d'autres gens, mais savoir que parfois ce sera difficile.
Pour finir, rester humble et éviter de comparer de manière qualitative les modes de vies et habitudes culturelles, ne pas oublier que nous sommes les « invités »...