C'est une étude qui fera parler. Alors que les États du monde se préparent à leur manière un avenir sans pétrole, les Émirats arabes unis (EAU) et l'Arabie saoudite pourraient faire un pas de plus en faveur des expatriés. D'après le journal britannique The Economist, les deux poids lourds du pétrole se prépareraient à diversifier leurs sources de richesses. Une diversification qui pourrait passer par davantage de droits accordés aux étrangers, dont la citoyenneté.
Émirats arabes unis et Arabie saoudite : préparer l'avenir sans pétrole
Selon le journal britannique, la principale raison de ce positionnement serait la crise pétrolière. Pas celle qui a tiré les prix vers le haut, mais celle qui amènera à une baisse, voire, une fin des ressources pétrolières. Impossible, pour les Émirats et l'Arabie saoudite, de rester sur un modèle économique trop dépendant du pétrole. Les deux États diversifient déjà leurs économies, mais le pétrole reste leur grande source de richesse. L'urgence climatique les obligerait-elle à l'action ? Certains y voient plutôt une opération de communication visant à attirer plus d'expatriés. On se souvient de l'opération séduction des Émirats arabes unis en 2020, alors que le reste du monde vivait encore sous confinement.
Les EAU et l'Arabie saoudite n'ont pas attendu la récente crise énergétique pour réfléchir à un monde post-pétrole. En 2016, en pleine crise pétrolière, Mohammed ben Salmane (MBS), prince héritier d'Arabie saoudite, présente son plan « Vision 2023 ». Il annonce une série de mesures, parmi laquelle l'investissement massif dans les énergies renouvelables. La stratégie saoudienne est cependant controversée. MBS prévoit de devenir le n°1 mondial des énergies renouvelables, avec un investissement de 100 milliards de dollars pour construire 16 réacteurs nucléaires d'ici 2030. Les autres mesures concernent la privatisation partielle des entreprises, y compris le pétrolier Aramco, numéro un mondial, pour avoir davantage de capitaux étrangers. MSB reconnaissait alors : « Nous avons tous une dépendance maladive vis-à -vis du pétrole en Arabie saoudite, ce qui est dangereux. [...] » Bien avant l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis avaient lancé leur « Plan 2020 ». Au programme, une révolution technologique basée sur la production d'énergies renouvelables : hydraulique, hydrogène et solaire. Attirer plus d'étrangers riches serait favorable à la diversification des sources d'investissements. De quoi sortir du « tout pétrole ».
La nouvelle stratégie des rois du pétrole
Rappelons que les Émirats ont largement profité de la remontée des prix du pétrole en 2022, qui a permis au PIB de bondir à +5 %. Le PIB pétrolier a ainsi représenté 8,1 % de la richesse en 2022. Les EAU ont aussi pu compter sur les hydrocarbures (+4%). Même avec la limitation des quotas décidée en septembre 2022 par l'OPEC+, 2022 est une excellente année pour les Émirats, 7e producteur de pétrole mondial, et 13e producteur gazier. Même tonalité pour l'Arabie saoudite. Le deuxième producteur de pétrole au monde (derrière les États-Unis) affiche une croissance de 8,7 % en 2022. Là encore, le bon chiffre est dû en grande partie à une forte hausse de l'activité pétrolière, +22,9 % comparativement à l'année précédente.
C'est bien l'activité pétrolière qui tire les économies émiraties et saoudiennes vers le haut. Pour la première fois depuis 2013, le budget 2022 de l'État saoudien était excédentaire. La hausse de l'activité pétrolière permet à l'État de parvenir à l'équilibre plus vite que dans ses projections (dès 2022, au lieu de 2024). Aux Émirats arabes unis, Abu Dhabi National Oil Company (ADNOC) prévoit même d'augmenter sa production de pétrole à l'horizon 2027. Les EAU ont aussi atteint l'équilibre en 2022, grâce à un excédent budgétaire de 7,7 %.
Difficile d'entrevoir une stratégie post-pétrolière avec de tels chiffres. Pourtant, l'ADNOC justifie sa politique par la nécessité d'obtenir des liquidités à court terme. La compagnie veut tirer le meilleur des capacités pétrolières de l'État pour mieux investir. Le 16 juillet 2022, Mohammed ben Salmane annonce que la production pétrolière atteindra son pic en 2027, seuil à partir duquel elle baissera progressivement. MSB poursuit-il sa « Vision 2030 » ? Anticipe-t-il l'essoufflement des ressources ? Les autres pays pétroliers, dont l'Algérie, l'Angola ou le Nigeria, sont déjà moins rentables qu'auparavant (les champs pétroliers dits « matures » produisent moins).
La citoyenneté pour les expatriés : les objectifs des gouvernements
Quel rapport entre la diversification économique, l'immigration, et l'accès à la citoyenneté ? Pour les Émirats arabes unis (EAU) et l'Arabie saoudite, faciliter l'accès à la citoyenneté va dans le sens d'un assouplissement des règles, dans un contexte d'internationalisation des échanges. Si l'économie doit s'adapter au monde post-pétrole, les sociétés aussi.
En Arabie saoudite, les expatriés représentent environ 36,7 % de la population (sur un peu plus de 35 millions d'habitants). Aux Émirats, ils sont près de 90 % de la population (sur environ 10 millions d'habitants). Le gouvernement envisagerait d'en accueillir 3 à 5 millions de plus. L'accès facilité à la citoyenneté serait un moyen supplémentaire d'attirer les étrangers. Mais pas n'importe lesquels.
Ceux qui ont tenté l'expérience le confirmeront. Le chemin à la citoyenneté peut être long et périlleux. Longtemps, les pays du Golfe ont préféré jongler avec les différents visas disponibles. Les natifs peuvent jouir de droits particuliers, comme des subventions ou des prêts sans intérêt pour acquérir un logement. Mais, loin devant ces avantages, les gouvernements et une partie de la population ont longtemps craint que la hausse des naturalisations ne porte atteinte à leur identité.
Selon l'étude de The Economist, les diverses crises actuelles auraient joué sur une nouvelle prise de conscience. Assouplir les règles, c'est se montrer plus libéral et plus compétitif sur le marché international. Les autres puissances aussi cherchent à attirer les talents étrangers. En facilitant l'accès à la résidence permanente et à la citoyenneté, les EAU et l'Arabie saoudite s'alignent sur les autres puissances économiques.
Expatriation et défis des pays du Golfe
Des changements sont déjà notables : aux Émirats, le week-end est désormais le samedi et le dimanche, comme dans les autres économies libérales (et non plus le vendredi et le samedi, comme dans nombre de pays arabes). Les couples non mariés peuvent dorénavant vivre ensemble. Les musulmans peuvent boire de l'alcool. L'Arabie saoudite accorde davantage de droits aux femmes : elles peuvent conduire, voyager sans l'autorisation d'un homme, et sont plus nombreuses à travailler (35,6 % en 2021, soit deux fois plus qu'en 2016 ; les hommes restent majoritaires (66,8 %) et gagnent environ 34 % de plus que les femmes). Le système de parrainage (kafala) pour les travailleurs étrangers a été supprimé. Le pouvoir se félicite également de ses avancées en matière de droit de l'homme. Le 21 septembre 2021, le pays organise même, avec l'Union européenne, son premier sommet consacré aux droits humains. Ce sont autant de points qui redorent son image sur la scène internationale, et auprès des expatriés.
Cela suffira-t-il à attirer plus de riches expatriés ? Si elle contient nombre de réformes économiques et sociales, la Vision 2030 portée par MBS laisse peu de place à la question des droits humains. La saoudisation des emplois notamment dans les secteurs de l'administration (37 % d'hommes saoudiens) et de l'énergie est toujours en marche. Les femmes sont surtout représentées dans l'enseignement (27,5%), le commerce (18%) et la santé (9,8%). Les activités domestiques (21%), le commerce et l'automobile (19,5%), la construction (14,7%), et la manufacture (12,3%) concentrent davantage de populations étrangères. Pour les observateurs, la saoudisation des emplois se heurte encore à des quotas trop élevés de la part du gouvernement : les entreprises doivent faire face à des niveaux de qualifications inférieures aux compétences requises.
À quand l'assouplissement des conditions de citoyenneté ?
Il faudra encore attendre pour un vrai assouplissement des règles. Aux Émirats arabes unis comme en Arabie saoudite, l'accession potentielle à la citoyenneté reste réservée à une poignée d'expatriés. La mesure vise l'élite : entrepreneurs, investisseurs, médecins, scientifiques émérites… En mai 2021, Abou Dhabi annonce offrir la nationalité aux riches étrangers. En Arabie saoudite, on recherche aussi des expatriés fortunés. En 2021, le pays concurrence Dubaï et annonce vouloir attirer 500 multinationales. Si Dubaï semble encore gagner la bataille de la ville la plus « libérale » et rayonne auprès des expatriés, Riyad compte bien devenir un nouveau géant des relations économiques. L'éventualité d'une citoyenneté facilitée dans un avenir post-pétrole devrait donc se voir sous l'angle d'un investissement supplémentaire, pour la croissance des économies du Golfe.