Pékin veut définitivement tourner la page de la politique zéro Covid, et ouvre grand les portes aux entreprises étrangères. Sa réforme s'inscrit dans un projet massif de « modernisation ». Le mot cher au pouvoir chinois est au centre de sa stratégie. En ligne de mire : 2029, date du 80e anniversaire de la fondation de la République populaire de Chine. Décryptage.
Stimuler la croissance grâce aux entreprises étrangères
En mars 2024, le Fonds monétaire international (FMI) appelle la Chine à réformer son marché économique pour redynamiser son économie. Le pays fait alors face à une crise du logement sans précédent et à un chômage des jeunes élevé (deux problèmes toujours d'actualité). De plus, les entreprises étrangères ne sont pas massivement revenues en Chine. En février 2024, le gouvernement publie les chiffres des investissements directs étrangers (IDE) de 2023 : à peine 33 milliards de dollars. C'est le chiffre le plus bas jamais obtenu depuis 1993. En 2021, malgré une crise sanitaire qui grippe les économies, les IDE en Chine grimpaient à 350 milliards de dollars.
1993 est l'année où la Chine amorce sa série de réformes pour s'ouvrir à l'international. 2024 est celle où Pékin entreprend de nouvelles réformes pour stimuler son économie, après avoir ignoré un temps les appels du FMI. Pour justifier sa nouvelle posture, le Parti communiste chinois (PCC), rassemblé pour la troisième session plénière de son 20e Comité central (du 15 au 18 juillet 2024), rappelle tout d'abord sa bonne santé économique. Il vise les 5 % de croissance cette année. La Banque mondiale table plutôt sur un ralentissement de la croissance chinoise de 5,2 à 4,5 %.
Le « plan global » de réforme du PCC met en avant plusieurs objectifs : construire un environnement international plus favorable à la « modernisation chinoise », renforcer les partenariats avec les « entreprises extérieures », mieux gérer les investissements étrangers, faciliter le commerce international, promouvoir des « partenariats stratégiques » avec les autres puissances, et construire une « économique mondiale ouverte ».
Marché chinois et opportunités pour les entreprises étrangères
La loi 2024 sur les sociétés est révélatrice du vaste plan de réforme de la Chine. Approuvée en décembre 2023, la loi chinoise sur les sociétés est entrée en vigueur le 1er juillet 2024. Le texte éclipse les autres dispositions relatives aux entreprises, et devient le texte de référence. La loi vise plusieurs objectifs : faciliter les transactions des entreprises (y compris des entreprises étrangères), simplifier les procédures administratives, protéger les droits et intérêts des investisseurs, et améliorer les règles de gouvernance. La Chine veut envoyer un message fort aux entreprises étrangères : elle saisit les évolutions rapides du marché, et peut offrir aux firmes étrangères le cadre privilégié pour leur croissance.
Message reçu par l'entreprise de logiciels NielsenIQ. Tracey Massey, sa directrice opérationnelle, soutient que la Chine est l'un des marchés les plus « stratégiques ». Pour elle, les réformes contribuent à la croissance des entreprises étrangères en Chine, et à la croissance chinoise dans le monde. Présent sur le marché chinois depuis 40 ans, NielsenIQ affirme avoir contribué au succès de la majorité des entreprises du Fortune Global 500 (liste des 500 plus grandes entreprises du monde).
Wuxi, ville voisine de Shanghai, est l'un des symboles de l'ambition chinoise. D'après les chiffres officiels, Wuxi compte plus de 7200 entreprises étrangères. Plus de 200 sont soutenues par des sociétés listées dans Fortune Global 500. Plus qu'une vitrine, Wuxi représente l'effort d'ouverture de la Chine à l'international. En mai, le belge Barco (divertissement, santé) a ouvert des locaux à Wuxi. En février, Bridgestone s'installe à Wuxi, quelques mois après Schneider Electric (arrivé en novembre 2023) et Panasonic (arrivé en juillet 2023). AstraZeneca et Envision Group, leader saoudien des énergies vertes, se tournent aussi vers Wuxi.
Vers un retour massif des travailleurs étrangers en Chine ?
D'après le ministère chinois du Commerce, 7160 entreprises à capitaux étrangers ont été créées entre janvier et février 2024. C'est 34,9 % de plus que l'année précédente. C'est également le plus haut niveau enregistré depuis le début de la pandémie. Selon un rapport de la Chambre allemande du commerce en Chine publié en janvier, 90 % des entreprises allemandes sondées prévoient de continuer leurs affaires en Chine. Plus de la moitié d'entre elles comptent augmenter leurs investissements en Chine dans les 2 ans.
Plus de 5000 entreprises allemandes sont actuellement implantées en Chine. Elles devancent les entreprises françaises (plus de 2100), mais restent loin derrière les firmes américaines (8619) et japonaises (plus de 13 700). Les entreprises étrangères ne visent plus seulement les grandes villes, mais ciblent les moyennes et petites villes, pour tirer tous les avantages du marché chinois.
Pour les candidats à l'expatriation, les réformes entreprises par la Chine peuvent représenter des opportunités nouvelles. Nombre d'entre eux ont quitté le pays, exaspérés par la politique zéro Covid. Depuis, les restrictions se sont levées, mais les travailleurs étrangers peinent à revenir. La Chine a assoupli sa politique de visas, a promis des allègements fiscaux pour les investisseurs étrangers, et lancé des invitations aux étudiants internationaux. Pour quels résultats ? En 2023, une enquête de la Chambre de commerce européenne en Chine révèle que les travailleurs étrangers ne représentent plus que 10 % des salariés de la majorité des entreprises étrangères présentes en Chine. 2024 a commencé sur la même tendance. Les employeurs étrangers se tournent davantage vers les locaux. C'est justement l'une des stratégies de Pékin.
Réformes en Chine : le double discours ?
Mais pour les firmes étrangères, le manque de travailleurs expatriés peut freiner leur croissance. Car ces expatriés font le lien entre le siège de l'entreprise étrangère et la firme basée en Chine. Leur présence est essentielle pour cerner le marché chinois et adapter les stratégies des entreprises étrangères. En attendant le retour des expatriés, les employeurs étrangers font leurs comptes. Certains estiment que les efforts de Pékin sont encore trop mesurés. D'autres pointent le « double discours » d'un État qui ouvre les portes aux étrangers tout en montrant des signes de fermeture : renforcement de la loi anti-espionnage qui empiète sur les libertés fondamentales et empêche la conclusion d'affaires pourtant légales, perquisitions et fermetures d'entreprises étrangères sans motif clair…
Au fond, les entreprises étrangères sont partagées. D'un côté, le marché chinois offre des opportunités réelles de croissance. De l'autre, il représente une concurrence redoublée. L'exemple des véhicules électriques est révélateur. D'après l'Agence internationale de l'énergie, 45 % des voitures électriques produites cette année seront chinoises. La Chine surclasse l'Europe (25 %) et surtout son grand rival américain (11 %). Les leaders traditionnels de l'industrie automobile (Allemagne, Japon, États-Unis) sont dépassés. Ils n'appellent pas à des investissements massifs en Chine (le pays n'en a pas besoin), mais à des mesures protectionnistes pour freiner l'expansion chinoise.
De son côté, Pékin poursuit sa politique de modernisation. Sa réforme pour attirer les capitaux étrangers s'inscrit dans un pack de 300 mesures « capitales ». Le PCC affirme qu'elles seront toutes achevées pour le 80e anniversaire de la République populaire de Chine.
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