Les pénuries de main-d'œuvre obligent l'Australie à se tourner vers les talents étrangers, véritables moteurs de la croissance. En parallèle, la crise du logement gagne du terrain dans un contexte d'inflation toujours élevée. L'Australie fait ses comptes. Analyse.
Une inflation persistante
Selon le Bureau australien des statistiques, les loyers augmentent à leur rythme le plus rapide depuis 14 ans. Marqueur d'une inflation qui grève les revenus des habitants, la hausse des loyers est devenue un véritable enjeu politique, et une source de crispation. L'Australie s'empêtre dans une crise du logement et une inflation persistante (inflation annuelle estimée à 5,4%). C'est pour tenter de maîtriser cette inflation que Michele Bullock, gouverneure de la banque centrale australienne a relevé le taux directeur à 4,35 %, son plus haut niveau depuis décembre 2011. Si le pic inflationniste est passé, la gouverneure rappelle que l'inflation reste à un niveau trop élevé. On estime que moins de 1 % des logements sont disponibles à la location. Les loyers explosent. Les plus jeunes et les plus modestes sont les plus touchés par la crise. Le rêve d'accéder à la propriété s'envole pour nombre d'habitants.
Mais quel rapport avec l'expatriation/l'immigration ? En octobre 2021, l'Australie met fin à sa politique zéro Covid. Face à l'explosion du variant Delta, le gouvernement travailliste change de cap et mise sur la vaccination. Quelques mois plus tard, le 7 février 2022, l'Australie rouvre ses frontières. Le gouvernement compte sur l'immigration pour renouer avec la croissance. Car pour fonctionner, l'Australie a besoin des travailleurs étrangers. Or, la stratégie zéro Covid (fermeture totale du pays) a conduit le pays à se priver des expatriés pour ne compter que sur les nationaux. « Il est temps de rentrer chez soi » conseillait le Premier ministre conservateur Scott Morrison, en avril 2020. Les étrangers sont poussés hors des frontières australiennes, et ceux qui restent se sentent mis sur la touche.
L'immigration au secours de la pénurie de main-d'œuvre
Mais la main-d'œuvre australienne ne suffit pas ; le pays manque de bras. Alors que l'Australie rouvre ses frontières, des milliers de travailleurs étrangers manquent à l'appel. À l'été 2022, plus de 480 000 postes sont à pourvoir dans le pays. C'est deux fois plus qu'avant le début de la crise sanitaire. Des secteurs sont particulièrement touchés, comme le tourisme, l'hôtellerie et la restauration. D'autres secteurs, dont l'éducation, l'ingénierie, la construction, l'informatique et la santé souffrent également d'importantes pénuries. Il faut ajouter au tableau un chômage au plus bas. À peine 3,4 % en juillet, du jamais vu depuis les années 40.
C'est donc pour contrer les conséquences de sa politique zéro Covid que l'Australie se lance dans une course pour attirer de nouveau la main-d'œuvre étrangère. Il faut ramener les étrangers partis au début de la Covid-19 et en recruter des milliers d'autres. En septembre 2022, l'exécutif annonce relever de 25 % le quota d'immigration qualifié pour attirer près de 200 000 travailleurs étrangers par an, une première depuis la Seconde Guerre mondiale. Pour attirer les travailleurs, des entreprises promettent des hausses de salaire et des primes à l'embauche. Le gouvernement entend aussi faciliter la reconnaissance des diplômes obtenus à l'étranger, toujours pour encourager l'immigration économique. Employeurs et syndicats soutiennent le projet gouvernemental, tout en insistant sur l'importance de la formation et de l'apprentissage pour que l'offre colle davantage à la demande d'emploi.
Existe-t-il un lien entre immigration et hausse des loyers ?
En 2022, la croissance rebondit à + 4,2 % (rattrapage du temps Covid) et est estimée à 2,5 % en 2023 (chiffres OCDE). Les étrangers reviennent aussi. En 2022, le Bureau australien des statistiques note une hausse de 29,5 % du nombre de résidents en Australie nés à l'étranger (+ 155 000 personnes). En 2023, le pays s'attend à accueillir plus de 300 000 étrangers, soit 25 % de plus que les prévisions des responsables gouvernementaux de l'immigration. Abul Rizvi, le secrétaire adjoint du ministère de l'Immigration de l'époque admet une « sous-estimation » des chiffres ; reprenant les moyennes d'avant la crise sanitaire, l'exécutif prévoyait une hausse annuelle de 235 000 personnes.
Les hauts niveaux d'inflation auront-ils raison de la stratégie australienne ? Faut-il comme au temps du zéro Covid, garder les expats en dehors des frontières ? Confronté à une crise du logement sans précédent, le Canada s'est vu confronté à un débat similaire. Débat clôturé par le ministre de l'Immigration Marc Miller, pour qui la présence des étrangers n'est pas la cause de la crise du logement. Plutôt que de baisser le nombre de nouveaux immigrants, il préconise davantage de moyens pour construire de nouveaux logements et lutter contre la crise. Ironie du sort : c'est Sean Fraser, l'ancien ministre canadien de l'Immigration et nouveau ministre du Logement, qui avait associé immigration, hausse des loyers et crise du logement.
En Australie aussi, l'idée semble faire son chemin. Comment garantir un logement aux milliers d'expatriés arrivant sur le territoire, et en même temps, aux Australiens frappés par la crise ? Pour les partisans de cette thèse, il s'agit d'une question purement mathématique. Impossible pour eux de maintenir la politique migratoire actuelle dans un contexte d'inflation et de crise du logement.
Crise du logement : reconstruire pour renouer avec la croissance
Qu'en est-il vraiment ? Les économistes australiens s'accordent pour dire qu'il manque à l'État plusieurs centaines de milliers de logements. Mais à l'heure actuelle, les chantiers sont au ralenti ou au point mort. L'inflation pèse sur le coût des matières premières, qui explose. Les constructeurs doivent aussi affronter des « Not In My Back Yard » influents ; des communautés de riverains s'opposent à la construction de nouveaux logements dans leur secteur. Oui à de nouvelles habitations, mais loin de chez eux. En opposition, des groupes « Yes In My Back Yard » font entendre leur voix, pour accélérer la construction et l'accessibilité des logements. Des logements en moyenne 30 % plus chers qu'avant la crise sanitaire. Selon l'institution financière SQM Research, les loyers ont augmenté de 20 % pour les appartements, et 16 % pour les maisons.
En parallèle, le pays reste confronté aux pénuries de main-d'œuvre, notamment dans le marketing, la finance, l'ingénierie, l'architecture, le design, l'éducation, les sciences, la recherche, le social, la santé, l'agriculture, ou encore les transports. D'après la société immobilière commerciale CBRE, les loyers devraient continuer d'augmenter (jusqu'à 30% d'ici 2028) particulièrement à Melbourne, Sydney, Perth et Brisbane. De son côté, le gouvernement mise sur le Housing Australia Future Fund, plan à 10 milliards de dollars australiens pour construire 30 000 nouveaux logements sociaux et abordables d'ici 5 ans.